Bernadette, une vie de marchande de journaux
Ouest france 25/04/14
Frédéric SALLE.
Porteuse, puis gérante du kiosque dans les Halles, elle distribue la presse depuis 50 ans. Le temps d'une matinée au marché, récit d'une vie qui se feuillette comme un quotidien du matin.
À l'heure où elle entame sa journée derrière le comptoir posé à l'entrée des grandes Halles, Bernadette Bouteloup sait déjà comment va le monde, ce matin de juillet. Mal, comme l'annonce l'affichette jaune d'Ouest-France qu'elle scotche sous la pile de journaux : « Le crash qui attise la tension. » À la Une, les quotidiens montrent la photo de l'avion désintégré, la guerre au Proche-Orient.
Le Tour de France, le beau temps à l'Ouest et la fête attendue pour le bal des pompiers à Saint-Nazaire égayent le concentré d'actualité que la marchande de journaux a parcouru ce matin, à l'aube. « Je lis Ouest-France et Presse-Océan tous les jours avant de venir. Si des clients me demandent ce qu'il y a de nouveau, je peux leur dire. C'est important. Certains me réclament ce qu'il y a dans les avis de décès. »
De l'usine aux Halles
Mauvaises ou bonnes, les nouvelles sont les nouvelles. Bernadette en a distribué par millions depuis le début de sa carrière. C'était il y a cinquante ans tout ronds. La jeune femme originaire de Charente a trouvé l'amour à Saint-Nazaire.
En 1964, elle travaille dans la même usine que son époux, ouvrier qualifié à la fabrique de bas. « Le beau-frère nous a mis sur le coup du portage de journaux. Il fallait des volontaires. Ça faisait un complément. »
Monsieur garde un temps sa place à l'usine, mais Mme Bernadette préfère être debout quand tout le monde dort, seule dans la ville sur sa Mobylette. Le deux-roues à la marque célèbre, au point d'en donner son nom à l'objet, est resté son allié, par tous les temps, été et hiver.
Pas de vacances pour la porteuse ou « quinze jours par ci ». Enceinte jusqu'au cou, elle descendait et remontait de bécane sans se plaindre. « Moins d'une semaine après l'accouchement, je retournais sur le cyclo. »
Livraison à l'américaine
À l'époque, le portage de journaux se développe et le secteur de la livreuse grandit : « 90 km par matinée. ». Elle livrait 300 journaux qu'elle allait chercher au dépôt. Ce sera bientôt 650, dans le secteur allant de l'hôpital à la Bouletterie avec passage par la Trébale. Pour distribuer à un rythme élevé dans certains immeubles, elle s'adapte, travaille « à l'américaine, rigole-t-elle. Je lançais le paquet sans descendre de cyclomoteur et les clients s'arrangeaient plus tard entre eux. »
En 1990, deux accidents et huit mobs plus tard, Bernadette prend un virage maîtrisé. Elle continue le portage jusqu'en 2002, mais désormais, trois jours par semaine, elle tient le kiosque des Halles.
Elle connaît du monde et colle au personnage plein de gouaille qu'on imagine sur les marchés. Elle y a modifié son quotidien et pris ses habitudes. Lorsque son étal de nouvelles est enfin prêt, vers 7 h, elle redevient porteuse, pour les commerçants du marché.
Un paquet d'Ouest-France, Presse-Ocean et l'Écho de la Presqu'île sous le bras, elle livre Bernard, le boucher, Jojo et Michèle, les maraîchers, claque la bise à Ali et Nasser. « À 7 h 30, je sors les jeux à gratter. J'adore quand il y a des clients qui gagnent. »
« La reine des bonbons »
Bernadette ? Un poisson dans l'eau d'un bocal d'à peine 2 m2 qu'on ne peut pas manquer en passant la porte du bâtiment. Durant sept heures, elle dit bonjour, rend la monnaie, offre un sourire, lance une plaisanterie, prend des nouvelles autant qu'elle en vend, dans une cadence de rotative imposée par les clients qui surgissent, pressés.
Bernadette ? « C'est la reine des bonbons », assure une fillette, qui sait qu'elle aura sa gourmandise avant même que papa ait donné les sous de L'Équipe. La marchande ronchonne, parfois, quand il lui manque des journaux ou qu'un candidat aux élections importune les passants. Elle n'a pas caché sa tristesse, un dimanche de novembre, après la chute de la passerelle du Queen Mary 2, « comme tout le monde, dans un marché de silence. »
Ce qu'elle a aimé par-dessus tout, en cinquante ans de carrière ? « Les jours où il y a une grande information sur l'aéro ou la navale. Quand les chantiers obtiennent une commande de paquebot, comme l'Oasis l'an dernier. Là, il faut voir les gens sourire. »
Des infos et des .... A vos commentaires